Les 40 ans du lynx en Suisse

Les 40 ans du lynx en Suisse

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Le 23 avril 2011, on fêtait les 40 ans du premier lâcher de lynx en Suisse. En 1971, un couple de lynx des Carpates était en effet relâché dans le domaine de chasse de Hutstock, dans le canton d’Obwald [Suisse centrale]. Cette action, menée conjointement par l’Inspection générale des sociétés de chasses et l’Office des forêts du canton d’Obwald, constitua le point de départ de la réintroduction du plus grand félin d’Europe non seulement en Suisse, mais aussi dans plusieurs pays de l’ouest et du centre du continent.

Les années suivantes, des lynx furent relâchés dans plusieurs régions de Suisse. Toutes ces opérations ne débouchèrent pas sur des implantations durables, mais dans les Alpes (entre le lac Léman et celui des Quatre Cantons) et dans le Jura, deux populations se constituèrent. D’autres réintroductions furent menées avec succès dans des régions connectées à l’Arc alpin : dans l’extrême nord des Alpes Dinariques (actuelle Slovénie) et dans la forêt de Bavière et de Bohème. Ces quatre réimplantations de lynx peuvent être considérées aujourd’hui comme des réussites alors que le sort d’autres populations, plus petites ou bien trop nouvellement établies, est loin d’être assuré.

L’introduction d’il y a 40 ans fut un acte pionnier. Alfred Kuster (1902-1967), qui s’occupa d’obtenir l’autorisation du Conseil fédéral pour la réintroduction du lynx en sa qualité d’inspecteur général des sociétés de chasse, et Leo Lienert (1921-2007), qui conduisit les premiers lâchers en tant que directeur des forêts du canton d’Obwald, partageaient la même conception visionnaire de la protection de la nature. Ils étaient d’avis qu’une forêt équilibrée n’avait pas seulement besoin d’ongulés, mais aussi de prédateurs. Le fait que les prédateurs puissent jouer un rôle important dans l’écosystème ne faisait pas l’unanimité à l’époque, même entre biologistes. Or, depuis, l’idée qu’un écosystème intact ne se résume pas à une ensemble complet d’espèces mais qu’il s’agit aussi de préserver les interactions entre ces espèces et leur pool génétique – leur « potentiel évolutif » – est devenu un des concepts centraux de la Convention mondiale pour la protection de la biodiversité.

Il y a 40 ans, deux craintes dominaient : la première sur le fait que le lynx ne puisse trouver d’habitat dans une Europe occidentale densément peuplée, la seconde sur le fait que ce grand prédateur puisse exterminer les populations de ses proies. Concernant le premier point, les lynx le résolurent tous seuls. Ils occupent en effet a présent sans gros problèmes des espaces largement dominés par l’homme. Par contre le second point reste encore aujourd’hui un sujet d’achoppement. Certes, il est clair que la présence du lynx ne signifie jamais l’extermination de tous les chevreuils et les chamois, mais nous savons aussi que la prédation du félin peut entraîner localement des baisses significatives de leurs populations. Les chasseurs, qui doivent aujourd’hui partager leur gibier avec le lynx, demandent donc, non plus son éradication, mais du moins sa régulation. Le « Concept Lynx Suisse » (www.bafu.admin.ch) envisage la possibilité d’une telle démarche. Cela est d’ores et déjà juridiquement formalisé dans les textes, reste à adapter clairement la réglementation concernant les sociétés de chasse. De telles interventions prendront la forme de translocation ou bien, lorsque les déplacements de lynx ne s’avèreront plus possibles, par des tirs de régulation. On peut aisément le comprendre, les deux possibilités ont leurs opposants et leurs défenseurs. En fait, ces deux mesures pourraient être combinées pour atteindre un même objectif : arriver à une grande extension spatiale de la population de lynx avec une régulation possible pour empêcher de trop fortes densités.

Les pionniers de la réintroduction d’il y a 40 ans sont aujourd’hui disparus. Ils nous ont laissé un héritage précieux, mais pas toujours facile à gérer. Les lâchers de l’époque étaient des actions individuelles et non coordonnées dont nous devons aujourd’hui nous servir pour construire un seul et même ensemble cohérent. Avec notre vision moderne, l’arrêté du Conseil fédéral de 1967 de reconstituer une population de lynx avec « un, voire deux couples de lynx en pleine santé et capable de se reproduire » nous apparaît pour le moins naïf. Nous savons aujourd’hui que la réintroduction d’espèces nécessite plus qu’une protection légale et quelques lâchers d’individus. Il s’agit aussi de mener des réflexions sur la génétique – de quelle taille doit être le groupe fondateur de la population pour éviter à long terme les effets négatifs de la consanguinité ? –, prendre en compte les oppositions et surtout prévoir, concernant le lynx, qu’une population viable a besoin d’énormément d’espace. Avec de telles espèces, nous ne pouvons plus penser à l’échelle d’espaces et de corridors écologiques protégés, ni même d’un seul canton, mais à celle de massifs montagneux entiers tels les Alpes ou le Jura. Ce n’est qu’au travers de nouvelles introductions qu’il sera possible de faire se connecter les populations actuelles, qui restent isolées, et de réussir à créer une population viable, par exemple au niveau de l’Arc alpin. Une population qui puisse également supporter que sa densité soit localement ou régionalement contrôlée pour que la cohabitation soit possible entre les chasseurs et le prédateur sans grands conflits. La protection de la nature et son utilisation durable ne sont pas contradictoires mais elles nécessitent compromis et consensus. C’est là que la Suisse et sa tradition du consensus peut une nouvelle fois servir de modèle. Sauf que concernant les grands prédateurs, le consensus doit désormais être trouvé par delà les frontières du pays. La Suisse, qui héberge la seule population dynamique de lynx du massif alpin, a ainsi une responsabilité toute particulière.

Par Urs Breitenmoser et Christine Breitenmoser biologistes spécialistes du lynx en Europe en général et en Suisse en particulier.

Traduction  FERUS

Source : « 40 Jahre Luchs in der Schweiz!« , Kora (23/04/11)

Lire aussi :

– Suisse : un lynx a été vu dans le canton de Schwytz (avril 2011)

– La population de lynx en Suisse s’est stabilisée (novembre 2010)

2 commentaires sur “Les 40 ans du lynx en Suisse”

Bonjour
Je voulais vous signaler que « le bête des vosges » est un loup.
Un loup mâle, une photo l’atteste.
Source de l’oncfs, au col du bonhomme a environ 6 kilométres de La Bresse ou des brebis et un poulain ont été égorgés.
Amicalement
Carmen FISCHER


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