Lettre de CAP-Ours au ministre de l’agriculture

Lettre de CAP-Ours au ministre de l’agriculture

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Le 21 mars 2005

Monsieur le Ministre de l’agriculture Dominique BUSSEREAU

Objet : Mesures de revalorisation de l’économie montagnarde et du pastoralisme du massif pyrénéen

Monsieur le Ministre de l’agriculture,

L’annonce par le ministre de l’écologie d’un vrai plan de restauration de la population ursine dans les Pyrénées nous agrée profondément. Cette annonce s’accompagne d’un important travail pour revaloriser l’économie montagnarde et pastorale pyrénéenne. Déjà des consultations des organisations professionnelles agricoles ont eu lieu, tant au niveau départemental que du massif.
Comme beaucoup, nous regrettons que cette réflexion nécessaire soit si tardive, presque dans l’urgence, puisque ces mesures doivent s’inscrire dans le PDRN 2007-2013. Nous prenons acte de ce travail en cours et nous vous faisons part de nos propositions, tant pour la politique de soutien à l’agriculture de montagne dans les Pyrénées que pour les mesures spécifiques aux problèmes liées à la présence des ours et plus largement des prédateurs.

Nous vous rappelons que depuis toujours CAP-Ours, coordination de 28 associations favorables à la présence de l’ours dans les Pyrénées, se bat pour permettre la cohabitation entre les hommes, en particulier les éleveurs, et les ours. Quelques associations membres de CAP-Ours font un important travail en ce sens, et ce depuis des décennies.
le FIEP, dans le Béarn, a mis en place les premières mesures d’aide aux bergers et éleveurs qui étaient confrontés aux ours, il y a déjà une trentaine d’années. Ces mesures sont la base de toutes celles qui ont été promulguées depuis.
Pays de l’Ours-ADET œuvre depuis la réintroduction d’ours en 1996 au développement économique et touristique des Pyrénées centrales, avec des résultats positifs tant pour les éleveurs (Broutard du pays de l’ours) que pour les autres acteurs économiques des vallées (accompagnateurs, artisans, hôteliers, restaurateurs…).
Enfin, L’Association pour la cohabitation pastorale, composée essentiellement d’éleveurs et de bergers, est à la charnière de ces actions et c’est notamment par son intermédiaire que de nombreux chiens patous sont été placés sur l’ensemble du massif pyrénéen pour permettre la protection des troupeaux aujourd’hui et demain. C’est pourquoi nous souhaitons enrichir les consultations du monde agricole et forestier sur les mesures de revalorisation de l’économie montagnarde et pastorale du massif des Pyrénées.
Les exploitations pastorales ne représentent que 35 % des exploitations pyrénéennes, aussi il nous semble important que des mesures puissent accompagner les autres exploitations agricoles. Prenons un exemple : les apiculteurs de montagne ont aussi des contraintes liées à leur implantation, et la présence de l’ours oblige à une protection supplémentaire des ruchers.
Malgré la diversité de l’économie agricole de montagne entre les différents départements pyrénéens, il nous semble essentiel que les mesures qui seront proposées concernent l’ensemble du massif afin de garder cette richesse . Nos contacts avec des éleveurs des différents départements nous font souligner ce point, car la complexité actuelle des différentes mesures de soutien au pastoralisme ne facilite pas leur lecture, et crée des écarts importants entre les départements. L’harmonisation doit se faire vers le haut, car plus nous faciliterons le développement d’un pastoralisme vivant, employant de nombreuses personnes (bergers), permettant par une véritable conduite des troupeaux la conservation de l’écosystème agro-pastoral (support de l’ensemble des activités de haute montagne), plus l’acceptation par les éleveurs et les autres agriculteurs du retour des prédateurs sera facilitée.
Aussi pensons-nous que le seul zonage acceptable pour l’ensemble des mesures, en particulier des aides spécifiquement liées à la protection des troupeaux (clôtures, chiens, gardiennage, cabanes…), doit être le massif. L’expérience des réintroductions précédentes, l’exemple du retour naturel du loup dans les Alpes (à anticiper pour les Pyrénées) montrent que les animaux sauvages ne tiennent pas comptent des limites administratives que nous fixons. Donc c’est bien au niveau du massif qu’il faut prévoir les mesures d’aides et de protection, qui sont aussi des mesures de prévention et de précaution.

A l’évidence un des premiers trains de mesures qu’impose le plan de restauration de la population d’ours dans les Pyrénées est de favoriser le gardiennage des troupeaux : outre les aides qui permettraient aux éleveurs d’employer des bergers sans surcoût prohibitif, il convient de travailler plus en amont sur la formation des divers acteurs (bergers, éleveurs), sur le logement des bergers en altitude et la construction de cabanes et abris adaptés aux estives. Les mesures qui ont été adoptées en 2000-2003 pour la partie centrale des Pyrénées, soutenue localement par certains conseils généraux, doivent servir de référence. Cependant, nous pensons que les mesures d’aide à l’embauche des bergers ne doivent pas faire référence au nombre de bêtes ou, tout au moins, prévoir la possibilité de dérogations pour les montagnes difficiles, où garder plus de 500 à 600 bêtes peut être un maximum. Pour les cabanes de berger, il semble particulièrement important d’une part de rechercher des choix de construction qui, tout en s’intégrant au paysage, ne génèrent des coûts trop importants comme certaines cabanes construite trop traditionnellement. Néanmoins il convient d’adapter la législation en place (législation du travail notamment) pour la rendre compatible avec une activité spécifique et un milieu particulier. Pour toutes ces questions, il nous semble important que les associations de bergers ou des bergers ? dans les départements où elles n’existent pas, participent à leur définition et leur mise en place, car notre expérience nous dit qu’ils sont trop souvent oubliés.

Plus particulièrement, surtout pour les zones intermédiaires, celles qui sont les plus problématiques tant pour l’entretien de l’espace que pour la protection des troupeaux contre les prédateurs sauvages et domestiques, il faut rechercher des mesures qui favoriseraient la création d’un foncier cohérent et le regroupement des petits troupeaux pour permettre leur gardiennage (moins de 100 ovins). Les collectivités locales pourraient incitées à abonder ces mesures de manière à permettre l’embauche de bergers ? C’est dans ce cadre que la taille minimale des troupeaux est un frein important pour l’efficacité des mesures d’aides. Quand, comme dans la vallée de Luz, la taille moyenne des troupeaux n’excède pas les 90 têtes d’ovins, pour être efficaces les mesures doivent pouvoir être assouplies pour tenir compte de certaines particularités locales. Il nous faut donc trouver les moyens d’avoir une gestion des troupeaux adaptée aux conditions de présence humaine actuelle, permettant le maintien des structures existantes tout en faisant accepter les ours

Il convient aussi d’adapter certaines mesures de traçabilité, de police sanitaire, de déclaration de mouvement des troupeaux à la réalité de l’estive. Déclaration de naissance, pertes de boucles, déclaration simplifiée des mouvements (il ne faudrait pas que les nouvelles règles obligent un éleveur qui change de pacage à chaque saison, suivant en cela l’ouverture et la fermeture de la montagne, en arrive à faire quatre déclarations de changement d’exploitation dans l’année).
Pour permettre le maintien d’un pastoralisme vivant en montagne, il convient de favoriser le maintien des exploitations en montagne. En ce sens, l’idée d’une revalorisation des ICHN, voire d’autres aides, du fait de la présence des prédateurs est une solution acceptable. Il est incontestable que la présence de prédateurs sauvages constitue un handicap naturel supplémentaire demandant aux éleveurs un surcoût d’aménagement, de travail et de stress qui n’est pas complètement pris en compte par les autres mesures. Aussi nous sommes largement favorables à une revalorisation des ICHN pour les zones de montagne et haute montagne du Massif ou à la création d’un complément ICHN prédateurs.
La récente réforme du plan « bâtiment » qui fait disparaître la spécificité montagne, qui met un seuil pour obtenir l’aide à un minimum d’investissement de 15000 €, va à l’encontre du projet annoncé maintenant. Il faut obtenir une dotation spécifique dans le cadre du plan bâtiment pour le massif des Pyrénées. Il faut permettre même au plus petites structures, même celles qui selon des critères strictement comptables ne semblent pas viables (il y en beaucoup qui existent depuis des années et des décennies) d’obtenir des aides. La montagne pyrénéenne est façonnée par l’existence de ces exploitations, aussi l’aide aux plus petits projets doit être possible, et il semble nécessaire dans tous les cas de comptabiliser dans l’investissement le temps passé pour l’auto-construction (ce qui permettrait parfois d’atteindre les 15000 €). Des mesures qui permettraient de vraies installations progressives, notamment pour les bergers, car cette activité est souvent un premier pas avant l’installation, sont nécessaires.

Enfin, l’aide apportée à la valorisation des produits doit s’articuler avec l’ensemble des aides à la revalorisation de l’économie montagnarde des Pyrénées. Le cas de l’AOC Barèges-Gavarnie est pratiquement l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Quelle est la cohérence entre d’un côté des mesures pour l’emploi de bergers, la conduite des troupeaux et de l’autre les soutiens à un signe de qualité qui exclut, par principe, cette forme moderne de pastoralisme ?Aujourd’hui l’AOC Barèges sert d’argument pour refuser la présence de l’ours…
Au contraire les marques utilisant l’ours comme élément commercial (le fromage Pé Descaous, le Broutard du pays de l’ours) cherchent un maximum de cohérence entre un produit et les modes de gestion des troupeaux et de l’environnement. Ce souci de cohérence nous semble essentiel. Du fait de l’évolution des marchés, de l’intégration à une économie mondialisée dominée par les coûts de productions, répondre à travers les productions aux attentes sociales et environnementales de la société de proximité, est probablement une véritable solution économique. Pour terminer, quelques mots sur la forêt. L’ours, qui est à l’origine de ces consultations, est un animal essentiellement forestier. On sait que la conduite des exploitations forestières peut causer de nombreux dérangements et détruire le milieu de vie de ces animaux. Il ne serait pas logique d’un côté de réintroduire des ours et de l’autre de ne pas chercher de nouvelles règles et méthodes d’exploitation forestière.
Nous sommes d’accord pour que soient pris en compte les handicaps naturels de la forêt pyrénéenne, forêt de montagne souvent difficilement accessible. La création d’une ICHN forêt semble pouvoir être une première réponse.
Néanmoins nous demandons que des règles précises d’intervention en forêt soient mises en place afin de tenir compte de la présence d’ours ou d’autres espèces (coq de bruyère notamment). En outre une importante réforme des soutiens à l’exploitation forestière doit être mise en œuvre, l’aide apportée pour la construction des routes doit pouvoir être apportée dans son intégralité pour les autres formes d’exploitation forestière (câble, traction animale…).

Comme le montre ces quelques suggestions et remarques nous sommes disponibles pour participer à des réunions de travail afin de rechercher les solutions permettant la cohabitation entre l’humain, notre premier souci, et l’animal. N’oublions jamais que la défense de l’environnement est d’abord une défense du milieu de vie de l’humain.
Nous croyons que la restauration des populations d’ours dans les Pyrénées est le signe d’une nouvelle vitalité, comme le montre l’intérêt porté par vos services à nos problèmes montagnards pyrénéens. Nous vous demandons aussi d’inviter lors des réunions de consultations agricoles en plus des organisations professionnelles traditionnelles, l’Association pour la cohabitation pastorale (ACP). Non seulement elle a maintenant une véritable expérience sur les mesures de protection et les mesures d’accompagnement, mais aussi elle est pour l’administration un allié précieux pour montrer que tout le monde agricole n’est pas farouchement hostile à la présence de prédateurs sur notre massif.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre de l’agriculture, l’expression de nos salutations distinguées.

Copie envoyée à : la DDRAF Midi-Pyrénées, aux DDAF ainsi qu’aux préfectures des départements pyrénéens.

Les Associations membres de CAP – Ours :

Association pour la Cohabitation Pastorale (ACP), Action Nature, Association Pyrénéenne des Accompagnateurs en Montagne du département Pyrénées-Orientales (APAM 66), Associations Départementales Pyrénéennes des Accompagnateurs en Montagne des départements Ariège et Haute Garonne (ADPAM Ariège et ADPAM Haute Garonne), Les Amis du Pic du Gar, Les Amis de la Terre Midi-Pyrénées, Les Amis de l’Ours en Pyrénées Centrales (AMOPYC), Association des Naturalistes Ariègeois (ANA), Association Nature Comminges (ANC), Association de Promotion des Initiatives des Habitants de Mijanès (APIHM), Collectif Ax 24 mars, Comité Ecologique Ariégeois (CEA), Conseil International Associatif pour la Protection des Pyrénées (CIAPP), Connaissance de l’ours, FERUS (Groupe Loup France/ARTUS), Fonds d’Intervention Eco-Pastoral – Groupe Ours Pyrénées (FIEP), France Nature Environnement (FNE), L’œil aux aguets, Mille Traces, Nature Midi-Pyrénées (NMP), Nature Midi-Pyrénées comité local Hautes-Pyrénées, Pays de l’Ours-ADET, Société d’Etude de Protection et d’Aménagement de la Nature dans le Sud Ouest-Béarn (SEPANSO), Société Française d’Etude et de Protection des Mammifères (SFEPM), Sours, Union Midi-Pyrénées Nature et Environnement (Uminate), Union Midi-Pyrénées Nature et Environnement – Hautes Pyrénées (Uminate 65), WWF France.