Une politique de destruction méthodique d’une espèce protégée
Le vendredi 20 juin 2025, un mail adressé aux membres du Groupe National Loup (GNL) et écrit par Fabienne Buccio, préfète coordinatrice Loup, est venu confirmer une tendance préoccupante : la dérive croissante d’une politique qui prétend concilier protection de la faune sauvage et soutien au pastoralisme, mais qui penche toujours plus vers une logique d’abattage.
Dans ce mail, la préfète appelle à restreindre la mobilisation des lieutenants de louveterie, non pas par souci de conservation de l’espèce ou de cohérence écologique, mais pour garantir que le plafond de 192 loups abattus en 2025 puisse être atteint « au bénéfice de la défense des troupeaux » jusqu’à la fin de l’année. Ce plafond, présenté depuis des années comme une limite « exceptionnelle », devient ici un objectif à atteindre et à gérer en bon gestionnaire de quotas d’abattage.
À la date de son mail, 67 loups avaient déjà été abattus, soit plus d’un tiers du plafond annuel. Plutôt que de réévaluer l’efficacité et la légitimité d’un tel niveau de destruction, la préfète propose une gestion « rationnelle » de ce plafond. Les tirs de louveterie seront désormais limités aux élevages ayant subi au moins deux prédations dans les quatre derniers mois, et uniquement si les mesures de protection ont été mises en œuvre. Toute autre intervention devra être explicitement validée au niveau national. Il ne s’agit donc pas d’un sursaut de responsabilité écologique, mais bien d’un ajustement logistique : éviter d’atteindre trop tôt ce qui est malheureusement devenu un quota pour l’État. Et ce, pour que les tirs puissent continuer tout au long de l’année. La logique protectrice s’efface derrière une stratégie de destruction maîtrisée, mais systématique.
Pendant ce temps, une modification de l’arrêté sur les dérogations aux interdictions de destruction de loup en autorise encore plus
Et pendant ce temps, le ministère a publié ce dimanche la modification de l’arrêté qui fixe « les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ». Ce texte prétend mieux encadrer les tirs concernant les troupeaux de bovins et d’équins, considérés comme « difficilement protégeables ». Il prévoit donc d’autoriser des tirs de loups pour les protéger, à condition que les éleveurs aient commencé à mettre en place des mesures pour réduire leur vulnérabilité.
Consulter l’arrêté en cliquant ici
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Malgré un avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et une opposition massive du public (83 % d’avis défavorables) à l’issue de la consultation en ligne organisée du 20 mai au 10 juin 2025, le gouvernement a maintenu sans modification son projet d’arrêté autorisant des dérogations à l’interdiction de destruction du loup pour les troupeaux bovins et équins. Les critiques pointaient notamment l’inefficacité des mesures de « réduction de la vulnérabilité » prévues en substitution aux protections classiques qui ont prouvé leur efficacité en soulignant leur incompatibilité avec les obligations européennes et l’inégalité de traitement entre filières (bovins/équins vs ovins/caprins). Le ministère a néanmoins validé le texte, arguant que ces mesures avaient été testées localement et étaient adaptées aux réalités de terrain, tout en ignorant tout simplement les demandes de révision ou de retrait du texte exprimées par la majorité des contributeurs.
Au-delà de cette contradiction inhérente au texte et à ce flagrant mépris de l’opinion publique, dans la pratique, les tirs restent massivement autorisés même lorsque les conditions de protection ne sont pas optimales. La lecture du mail de la préfète cumulée à ce nouvel arrêté lacunaire confirme que l’objectif n’est pas d’inciter à une meilleure coexistence, mais bien d’organiser une campagne de régulation qui ne dit pas son nom.
Aujourd’hui, la politique de « coexistence » affichée par l’État n’est plus du tout crédible. D’un côté, alors que le loup reste une espèce protégée, il en autorise – et même orchestre – sa destruction méthodique. Pour un plafond plus élevé de loups pouvant être tués l’année dernière (209 en 2024 contre 192 en 2025), moins de loups avaient été décomptés à la même période (55). La dynamique actuelle pourrait conduire à des conséquences irréversibles sur la structure des meutes, leur dispersion, et à terme, la viabilité de la population lupine en France.
Nous demandons une réelle transparence sur les impacts des tirs, de leur efficacité, et un changement de cap vers des politiques réellement pensées pour la coexistence. Surtout, de continuer d’inciter les éleveurs à adopter les moyens de protection des troupeaux adéquats, seule solution pour une coexistence apaisée. Mais aussi prioriser les tirs d’effarouchement qui devraient être systématiquement préalables aux tirs de défense. Car « plutôt que de tuer le loup, mieux vaut lui faire mal », comme le dit Jean-Marc Landry, éthologue et spécialiste du loup.
Le loup n’est pas une variable d’ajustement dans une gestion de crise agricole permanente. Il est temps de rappeler que protéger une espèce signifie parfois savoir dire non aux lobbys, et faire primer l’intérêt écologique à long terme sur les pressions du court terme.