La contribution de FERUS au Grenelle de l’Environnement

La contribution de FERUS au Grenelle de l’Environnement

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Ce texte est la contribution de FERUS au Grenelle de l’Environnement. Il a été posté sur le site de consultation publique du Grenelle de l’Environnement et également envoyé aux rapporteurs du groupe « Préserver la biodiversité et les ressources naturelles » du Grenelle, aux Ministères de l’Agriculture et de l’Ecologie et à la DNP (Direction de la Nature et des Paysages).

Faire un effort exceptionnel sur les espèces qui génèrent des conflits

Il s’agit ici d’une contribution complémentaire à l’excellent travail qu’a déjà produit le groupe sur la biodiversité.

Il est issu de l’expérience de FERUS, association nationale qui protège les grands carnivores.

Les espèces qui génèrent des conflits ne sont pas toutes « menacées », certaines même ne se portent pas trop mal ; (il n’est pas question, bien sûr, des espèces invasives).

Il existe un dispositif général consistant à décliner par groupe d’espèces et même par espèce la stratégie nationale pour la biodiversité, mais il faut intensifier les politiques de soutien aux espèces qui suscitent des réactions de forte hostilité dans des fractions de l’opinion. Et peut être mettre en commun au sein d’une task force (dans une Agence pour la Nature ou un service de ministère) les éléments qui les rassemblent, avant de leur consacrer ensuite des plans d’actions particuliers. Ces espèces qui dérangent sont en effet de parfaits révélateurs des énormes obstacles que rencontrera l’ambitieux projet d’arrêter l’érosion de la biodiversité. On le constate dans cinq domaines au moins.

1 Le combat pour la biodiversité commence dans les esprits

Ce n’est pas parce que les scientifiques sont unanimes que tous les publics adhèrent. Ceux que la présence du loup, de l’ours, mais aussi du hamster, de rapaces ou d’oiseaux piscivores, d’insectes xylophages inféodés aux vieux arbres dérangent proclament : ces espèces ne sont pas menacées, elles existent ailleurs que chez nous ( qu’en France, ou que dans notre région), donc nous pouvons les faire disparaître. Les vieux concepts d’utile et de nuisible ressurgissent vite, « à quoi servent-elles, qu’à nous pourrir l’existence ? ». L’affirmation par ailleurs fort belle que la Biodiversité est l’Assurance vie de la Terre -mentionnée par le groupe du Grenelle- est comprise par les ennemis de ces espèces comme une sorte d’appel à constituer un conservatoire de specimens, une banque de gènes. Ils pensent qu’elle les éxonère de l’obligation de maintenir in situ les espèces qui ne sont pas strictement endémiques et menacées, puisque l’objectif est d’éviter les disparitions d’organismes vivants qui pourraient faire défaut à l’humanité.

Il est impératif que l’ensemble des forces qui auront à accompagner la stratégie pour la biodiversité trouve les mots et les vecteurs pour combattre cette propension à trier entre les bonnes et les mauvaises causes (on a vu sur l’ours de nombreux bons esprits reprendre à leur compte l’affirmation des éleveurs que l’animal « n’avait plus sa place »). Si l’on accepte de perdre « quelques » espèces, on se résigne au fil du temps à en voir disparaître beaucoup plus.

2 Le monde politique doit assumer les conséquences de cet engagement global

On en est loin, on ne peut qu’être frappé par l’incapacité quasi totale des élus territoriaux à faire autre chose que défendre les intérêts dits économiques immédiatements menacés par la survie des espèces qui dérangent. Au mieux les régions s’abstiennent prudemment de s’exprimer, les départements, les communes et les parlementaires « locaux » harcèlent l’Etat . Avec pour résultat d’une part que cela renforce l’image négative d’une biodiversité protégée par Paris contre le sentiment des populations locales, d’autre part que cela pose la question de la contradiction entre des engagements internationaux précis et l’affirmation qu’il faut prendre en compte les désirs des populations concernées.

Au minimum un gros travail de formation et d’éducation interne aux partis politiques est nécessaire pour que la biodiversité cesse d’être un domaine où il est permis de dire n’importe quoi au nom de la défense des intérêts économiques et d’une conception étriquée du « développement ».

3 Pour ces espèces, il faut de l’espace

Malgré les zones protégées et Natura 2000, on souffre encore d’un énorme déficit de milieux vraiment naturels. La plupart de ces espèces « à problèmes » ont un grand besoin de tranquillité. Le groupe du Grenelle mentionne la rareté des surfaces naturelles continues de plus de 50 kilomètres carrés. On devrait ajouter que les zones dans lesquelles n’existe aucune infrastructure permettant la pénétration d’un véhicule à moteur sont rarissimes. Si l’on inclut les pistes forestières carrossables (même quand l’accès est théoriquement restreint) ce sont les espaces d’au moins UN kilomètre carré qui sont l’exception en France.

La lutte contre l’artificialisation des sols est justement préconisée par le groupe, avec évocation de mesures fiscales. Certaines espèces sont précisément mal perçues parcequ’elles occupent des espaces convoités, sur le littoral, en montagne, près des eaux douces. Les tétraonidés, les tortues ne seront conservés qu’au prix de renonciation à des activités de loisirs très populaires et très rentables.
Plus généralement l’étalement urbain et le cloisonnement par les infrastructures repoussent des espèces vers des lieux où elles entrent en conflit direct avec l’homme.

Il faudrait d’une manière ou d’une autre instaurer une règle en dehors des zones urbaines : pas un kilomètre de voie créé sans qu’on en supprime un autre, par exemple une vieille piste forestière ou une route « touristique » qui ne dessert plus d’habitation permanente. Et il faudrait, si l’on estime qu’il faut passer de 60 000 hectares artificialisés par an -un département tous les dix ans !- à 30 000, puis à 10 000, faute de quoi la nature ne sera pas durable, établir au niveau national un contingent annuel maximum de surface équipable à répartir dans les documents d’urbanisme (en volume) avec une autorité régulatrice et compensatrice. La juxtaposition des efforts spontanés (s’ils existent) des collectivités décentralisées n’aboutira jamais à ralentir l’étalement global, et la fiscalité poussera surtout à la hausse du prix des équipements.

4 Il faut aussi une bonne police

On néglige souvent le fait que la seconde cause de disparition des espèces après la destruction des habitats est leur destruction directe par l’homme (à égalité avec les espèces invasives). Les effets du changement climatique ou de l’accumulation des polluants ne se feront sentir que « trop tard » pour de nombreuses espèces que l’homme aura éradiquées directement bien avant. Pour lutter contre cette cause majeure de déclin de la biodiversité, en plus d’une grande éducation populaire, rien ne vaut une bonne police de la nature.

Avec environ un agent pour 25 000 hectares, et un agent pour 5000 kilomètres de bord d’eau, la France est un nain en la matière parmi les pays modernes. Il faut aborder ces questions triviales, peu compatibles avec le destockage des agents publics, et faire une exception dans ce domaine.

Il faut aussi durcir les lois de protection, la tentative de destruction d’espèce protégée n’est pas punissable en France, la perturbation intentionnelle et la destruction des biotopes ne sont sanctionnées que symboliquement.

5 Il faut enfin des experts indépendants

Le groupe du Grenelle a beaucoup évoqué cette question des outils de mesure et d’appréciation des politiques, elle est cruciale pour les espèces qui dérangent puisque leurs ennemis racontent n’importe quoi sur leurs nuisances, leur dangerosité, leur incompatibilité avec d’autres formes de biodiversité, leurs coûts pour la société. A l’inverse aucune évaluation indépendante sérieuse de la pertinence globale des activités en question au regard de l’impératif de conservation de la biodiversité n’est actuellement possible et le sujet est tabou.

Il est donc nécessaire de renforcer aussi les moyens humains en diplômés de haut niveau placés dans des lieux indépendants des pressions des lobbies et si possible des pressions politiques, capables de dire quelles orientations sont réellement durables au regard des enjeux de conservation de la totalité des espèces dans la totalité de leurs habitats naturels. Quant aux travaux de recherche sur les espèces, ils ne seront généralement pas financés par des fonds privés, alors qu’ils sont indispensables pour résoudre les conflits, ou trouver la voie étroite qui permet la survie malgré de presions humaines accrues (cétacés). Là encore la question d’un changement d’échelle dans les financements publics est clairement posée (l’ensemble du programme d’action biodiversité coûte trois euros à chaque Français…).