Les pro-loup devenus bergers en Isère

Les pro-loup devenus bergers en Isère

un écovolontaire FERUS/Pastoraloup, saison 2004
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un écovolontaire FERUS/Pastoraloup, saison 2004 un écovolontaire FERUS/Pastoraloup, saison 2004

Faune. Des écolos aident les gardiens à surveiller les troupeaux. L’occasion de dialoguer.

Article Libération, par Lise BARNEOUD, 01 octobre 2005

Généralement, dans les histoires de loup, il y a les écologistes d’un côté et les éleveurs de l’autre, avec, au milieu, un énorme vide. Mais sur l’alpage rocailleux du vallon du Mercier, en plein coeur du massif de Belledonne (Isère), ce fossé semble sur le point de se combler. Là, à deux heures de marche du parking le plus proche, Marius Repellin monte chaque été ses 900 brebis et ses quelques chèvres.


Avant l’arrivée du loup, il les laissait pâturer seules et montait juste de temps en temps leur amener du sel. Mais, depuis que la bête est de retour, ce mode de fonctionnement n’est plus possible : une présence humaine permanente est nécessaire. Avec les subventions du programme Life (L’Instrument financier pour l’environnement, cofinancé par différents ministères et par l’Union européenne), Marius a embauché un aide-berger. Et, depuis deux ans, il reçoit également l’aide d’« écovolontaires », des bénévoles, écologistes pour la plupart, décidés à donner de leur temps pour aider les bergers face aux nouvelles contraintes que leur impose le loup.

« Au-delà du coup de main que ces volontaires peuvent donner, il s’agit surtout de pousser à se rencontrer des citoyens dont les logiques de vie sont parfois très éloignées »

explique Jean-Luc Borelli, responsable de ce programme d’écovolontariat mis en place par l’association écologiste Ferus.

« De toute façon, la cohabitation entre le loup et le mouton passera d’abord par celle des hommes entre eux ! »

Ainsi, depuis le début de l’été et jusqu’à mi-octobre, des étudiants, des chômeurs, des retraités, des pharmaciens, des instituteurs ou encore des chercheurs se succèdent sur une quinzaine d’alpages en France, dont celui de Marius. « Puisque les écolos veulent le loup, je les utilise », se justifie en plaisantant l’éleveur.

« Puisque le retour du loup coûte aux bergers, chacun doit faire des efforts »

explique de son côté Catherine, qui termine son deuxième séjour en tant qu’écovolontaire chez Marius. Voilà deux semaines que cette institutrice de 48 ans vit au rythme du troupeau, se lève à 6 heures chaque matin, passe ses journées à scruter les moutons aux jumelles et à informer les nombreux randonneurs sur les comportements à respecter dans le troupeau.

Assis dans l’herbe, enveloppés dans une brume qui peine à se lever, Marius et Catherine discutent avec passion de ce qui les réunit et les sépare à la fois : le loup. Réintroduit pour l’un, revenu naturellement pour l’autre, l’animal est tantôt un sanguinaire qui vide la forêt, tantôt un régulateur d’une faune sauvage devenu trop abondante.

« Tant que nous resterons séparés par des idées fausses, nous n’avancerons jamais, résume Catherine. Par exemple, je croyais que l’éleveur touchait trois fois le prix de l’agneau avant même de le vendre grâce aux primes. Mais ce n’est pas du tout le cas ! S’il ne vend pas son agneau, les primes ne lui suffisent pas pour vivre… »

« Les bergers disent peut-être beaucoup de conneries sur les écolos, mais les écolos en disent beaucoup sur nous aussi »

conclut Marius en riant. Le problème, c’est que les écolos savent mieux s’exprimer, ils ont le temps de lire, de s’informer. Au final, ils sont beaucoup plus écoutés que nous. D’où l’intérêt d’avoir des bergers écolos ! » Et sa tactique fonctionne .

L’année passée, Laure était écovolontaire sur son alpage. Cette année, Marius l’a embauchée pour trois mois en tant que bergère. Or, si le discours reste pro-loup, l’approche désormais diffère.

« Le loup m’intéresse évidemment, mais les moutons aussi. Contrairement à Catherine, je ne suis pas venue ici pour le loup. Je suis surtout là afin de trouver des solutions pour le mouton »

raconte cette jeune femme de 31 ans qui travaillait jusqu’à présent dans une réserve naturelle près d’Orléans. Dans la cabane de la Pra, sans eau ni électricité, Laure raconte sa découverte du métier. Cette année, elle a vu naître les agneaux, elle en a nourri certains au biberon, elle a appris à traire les chèvres… Résultat :

« Je suis devenue très attachée à certaines bêtes et je ne pourrais pas supporter que le loup me les prenne. Il y a même une chevrette que j’aimais tellement que je n’ai pas voulu qu’on la monte ici : elle est restée à la ferme… »

sourit Laure. Marius est aux anges.

Sur cet alpage, à plus de 2 000 mètres d’altitude, il semble que le pari d’une cohabitation entre écologistes et éleveurs soit en passe d’être gagné. Conséquence ou coïncidence, celle entre le loup et le mouton ne se porte pas trop mal non plus : aucune bête n’a succombé aux crocs du prédateur cette saison. Une seule l’an passé.