Loup : lettre commune à Serge Lepeltier

Loup : lettre commune à Serge Lepeltier

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La dernière réunion du « groupe national loup » a eu lieu le 28 avril, à Aix-en-Provence. Avant cette rencontre, les associations participantes (FERUS/WWF/FNE/SPA) avaient adressé un courrier commun au ministre de l’Ecologie et du Développement Durable, Serge Lepeltier.

Le 19 avril 2005

Objet : plan loup 2005

Monsieur le Ministre

Nos associations ont participé au « Groupe national Loup » du 15 mars dernier. Avant la prochaine réunion de ce groupe, prévue le 28 avril prochain, nous tenons à vous faire part d’un certain nombre de remarques, indispensables à notre sens pour élaborer et finaliser le « plan loup » pour l’année 2005. L’état actuel et l’évolution de la population de loup en France incite encore à la prudence en 2005. Certains éléments mis en avant par l’ONCFS dans son rapport provisoire montrent que le loup a conservé ses positions (comme en 2004, on évoque 13 zones de présence permanente, dont plusieurs sont transfrontalières). D’autres montrent un succès relatif de la reproduction sur 8 de ces zones dont 5 transfrontalières. En revanche les relevés de traces hivernales montrent une stagnation des effectifs prouvés. Ce n’est qu’en extrapolant une croissance moyenne théorique de 10% à partir des données de 2001 que les dynamiciens des populations et les statisticiens proposent un chiffre moyen supérieur aux « 55 loups » de 2004.

Nous considérons donc que la population française de loups n’a toujours pas atteint le niveau de bon état de conservation à partir duquel la directive CEE de 1992 « habitats » autorise sous des conditions claires des interventions sur certains individus.

La prudence doit donc être d’autant plus de mise qu’il n’existe pas de gestion internationale de l’espèce. Pour l’instant il n’est question que d’échanges de données. Chaque pays régit ses espaces protégés, ses populations d’animaux proies, les relations entre ses éleveurs et les prédateurs sans soumettre ses décisions à l’approbation des autres pays.

D’autre part, nous nous devons de rappeler les règles d’éco-conditionnalité intégrées dans la nouvelle PAC, applicables dès 2006 et qui conditionnent les aides à la mise en place du respect de l’environnement et au bon fonctionnement des écosystèmes incluant la gestion des espèces. Bien entendu, nous ne contestons pas que les loups apportent une contrainte supplémentaire à l’élevage, même si nous rappelons que certaines évolutions induites par leur présence dans la conduite des troupeaux peuvent se révéler positives pour l’avenir de la filière ovine.

Nous admettons que dans certains cas des interventions sur les loups se révéleront inévitables, et nous préférons qu’elles soient encadrées par des textes légaux plutôt que de voir s’instaurer une situation de braconnage toléré comme cela se produit hors de France. Les interventions sur les individus ne pourront avoir lieu le moment venu que dans le respect de la directive de 1992 et des orientations du plan d’action sur le loup adopté par les deux ministères concernés. La finalité de ces interventions ne pourra pas être de « réguler » l’espèce sans fondement scientifique. Sur un territoire donné, en présence de proies naturelles en nombre suffisant, les groupes de loups s’installent et maintiennent leurs effectifs spontanément, compensant une mortalité extraordinaire par une plus grande capacité à la reproduction ou à l’accueil de jeunes animaux en phase de colonisation. Il serait illusoire de laisser croire aux éleveurs ou aux chasseurs qu’on va maintenir durablement des populations réduites de loups tout en respectant l’objectif principal de la directive et du plan d’action qui est de garantir durablement la présence de cette espèce.

Dans le cas de troupeaux correctement protégés, comme dans le cas de troupeaux que pour des raisons diverses il serait difficile voire impossible de protéger complètement, il pourra se révéler nécessaire de tuer des loups. Nous disons bien tuer et non capturer : nous nous opposons absolument au recours, qui a été évoqué, à des captures suivies de captivité perpétuelle. Ces expédients ne changent rien au regard des textes qui protègent la faune sauvage (un loup retiré de la nature est perdu pour elle, qu’il soit mort ou captif). L’expérience malheureuse des lynx qui ont été capturés dans le Jura puis mis dans des cages où ils sont morts misérablement doit servir de leçon.

Nous demandons que la protection des troupeaux soit effectivement réalisée avant qu’on autorise l’éventuel tir d’un loup dans un massif. Pour l’instant nous ne disposons que de données approximatives, qui font état d’une progression significative et encourageante de la mise en place des protections mais qui n’indiquent pas de taux de couverture satisfaisant massif par massif. Il nous paraît indispensable de dresser une cartographie des zones de présence permanente des loups, avec l’indication pour chacune d’elle du nombre de troupeaux, du taux de couverture de ces derniers par des mesures de protection, et du bilan des attaques dans les zones couvertes à près de cent pour cent.

Lorsque seront réunies les conditions, d’une part, de bon état de conservation de la population de loups et, d’autre part, de couverture suffisante des troupeaux par des mesures de protection dans les massifs où des tirs seront demandés, il sera nécessaire de préciser à partir de combien de dommages l’autorisation pourra être délivrée, et de définir les modalités de ces tirs, nécessairement strictement encadrés.

Nous ne cautionnons pas l’autodéfense, et combattrons tout dispositif qui tenterait d’exonérer les tireurs de leurs responsabilités pénales en faisant couvrir leurs actes par des autorisations elles-mêmes illégales. Les prélèvements de loups devront correspondre aux chiffres qui auront été décidés par les autorités après avis du CNPN. Ils devront être réalisés en des lieux et dans des conditions qui seront conformes aux arrêtés qui les encadreront, arrêtés qui seront eux mêmes conformes à la directive CEE de 1992 et à la loi française, faute de quoi nous les déférerons aux juridictions compétentes.

Un bilan annuel de ces tirs éventuels devra être établi avant toute nouvelle campagne. Il sera croisé avec l’appréciation générale de l’évolution de la population de loups, la mesure des actes de braconnage, la progression du taux de couverture des troupeaux par les mesures de protection, l’évolution des dommages. Enfin, la réalisation de ces tirs encadrés devra veiller à ne pas déstabiliser les meutes installées (la cohabitation est sans doute plus facile dans le cas de territoires « tenus » par des couples dominants), et ses objectifs finaux ne pourront être la contention de l’expansion de l’espèce comme l’a rappelé le plan d’action pour le loup. Nous rappelons à ce sujet que nous n’avons toujours pas de bilan circonstancié des tirs de l’an dernier, comme l’avait demandé l’une de nos associations lors de la réunion du groupe de travail du 11 janvier 2005.

En vous remerciant de votre attention et en vous demandant de tenir compte de ces remarques et compléments, nous vous assurons, Monsieur le Ministre, de notre attachement déterminé à la cause des grands prédateurs ainsi que de notre respectueuse considération.

Au nom de

Jean-François Darmstaedter, Président de FERUS

Sébastien Genest, Président de France Nature Environnement

Lauriane d’Este, Vice-Présidente de la SPA

Le Président du WWF-France, Daniel Richard